Ca y est... C'est enfin le grand jour ! Celui où je dois faire honneur à ma famille et ne pas la décevoir. Ooooh qu'est-ce que je stresse, même si je fais de mon mieux pour ne pas le montrer. Est-ce que mon frère sera là ? J'aimerais tellement qu'il me voit et qu'il soit fier ! Je sais que l'année dernière, ça n'a pas été aussi simple que ça pour lui, mais je sais aussi que ce n'était pas de sa faute, c'est un grand sensible tellement empathique, il a dû recevoir toute la peur de la foule face au Poulpyan et la canaliser en lui. Oui je suis sûr que c'est ça.

Alors que l'heure approche, je sens une boule grandir dans ma gorge, à croire que j'ai avalé un Tritonyan, et qu'il gigote dedans. Est-ce que je vais être à la hauteur ? Est-ce que je vais continuer dans la tradition familiale et devenir un Trakyan ? Sinon... Je ne saurais pas quoi faire. Gardyan ? Au pire, oui, ça me permettrait de travailler totalement avec Esterion. Ca, ça serait tellement chouette ! Mais Normyan, alors là... Je crois que je me laisserais engloutir par le lac juste après la cérémonie. Ce serait un tel déshonneur pour les Delfangstroem...

Allez, je suis prêt. Je peux le faire. Je ne suis pas né dans cette famille sans raison après tout. Je serai à la hauteur ! Je suis un Delfangstroem ! Je rajuste un peu mes habits, ma veste bleue fétiche, avec ses bordures en cuir naturel et ses motifs blancs sur les manches jusqu'à leur bout. Et surtout, surtout, j'arrange bien ma broche à l'effigie de ma famille, que tout le monde puisse l'admirer. Oui je suis un Delfangstroem et j'en suis fier. Et je leur ferai honneur !

Bon ça n'empêche pas que, lorsque je rejoins la fameuse place avec l'ouverture destinée à l'accueil du Poulpyan, j'ai les jambes en coton. Lorsque j'arrive, le silence se fait comme toujours. Je déglutis et m'avance le plus dignement possible vers le chef, comme on me l'a appris. Garder la tête haute, ne pas montrer sa peur, faire honneur à la famille. Je peux y arriver ! Je m'arrête devant le chef et... ne sais pas trop quoi dire.

- Bonjour... ?

Je crois que lui seul peut arriver à m'entendre malgré le silence tellement ma voix est basse. J'espère que je n'ai pas fait une bêtise en parlant le premier...

Je regarde le chef du village, tendu. Je sais qu'elle n'est pas réputée pour sourire ou être très aimable, mais ses mots me font quand même un choc. C'est vrai, elle a raison, peut-être que ce jour ne sera pas bon pour moi... Non, je ne dois pas commencer à penser comme ça. J'essaye plutôt de me rappeler les conseils de mon frère pour que la cérémonie se passe bien. Respirer calmement. Ne pas douter des Delfangstroem. Leur faire honneur. Rester stoïque et attendre dignement la suite des évènements. Voilà, c'est déjà mieux.

Après un silence, le chef du village reprend pour m'expliquer le déroulement qui va suivre. Même si je le connais déjà pour l'avoir entendu plusieurs fois, cette fois c'est différent : c'est à moi qu'elle s'adresse. C'est moi qui suis concerné. C'est sur moi que le Kyan va se pencher à travers le grand Poulpyan et je devrais en accepter la décision, quelle qu'elle soit. Je ne peux que prier pour qu'elle convienne à ma famille. Je n'ai pas le droit de me défiler, le chef me le fait bien comprendre.

Je déglutis quand je me rends compte qu'elle m'a posée LA question. J'ouvre la bouche, je veux répondre, mais rien ne sort. Stress. Panique. Non, pas déjà ! Je ne dois pas nous ridiculiser ! Inspirer, respirer, inspirer, respirer. Je referme la bouche, le temps de me remettre. Je peux le faire. Les Delfangstroem comptent sur moi aujourd'hui, je ne dois pas faillir. Prenant une dernière et grande inspiration, faisant de mon mieux pour ne pas me rappeler que tout le monde me regarde, y compris ceux qui n'apprécient pas la famille, j'arrive enfin à répondre d'une petite voix.

- Oui.

J'aimerais bien rajouter quelque chose, une phrase importante, des mots qui montreraient à quel point je comprends l'intensité et l'importance de ce qui va se suivre. Mais j'ai peur que ma voix me trahisse et se mette à trembler, alors je préfère me cantonner à ce "Oui" qui, bien que faiblard, n'a pas eu à subir de trémolos. C'est toujours ça. Ô Kyan, pitié, fais que tout cela se termine vite !

J'ai tout donné dans ce oui, et je prie pour que cela soit suffisant. Si le chef me demande de développer, là... Je ne sais pas si j'en serais capable. Je sens une petite goutte de sueur perler contre mon front, juste sous mes mèches, j'espère que ça ne se voit pas. Et puis ça y est, le Kyan a entendu ma prière, le chef ne me demande pas de précisions et se détourne de moi. J'en profite pour souffler le plus discrètement possible. C'est déjà une partie horrible de finie, enfin je crois. Le plus dur reste à faire, mais au moins je sais que ça, ça s'est bien passé. C'est rassurant.

Je regarde le chef et l'écoute appeler le grand Poulpyan. Je ne peux pas m'empêcher de frissonner. J'ai beau savoir ce qui va se passer, le vivre est une autre histoire. Heureusement j'ai encore assez de maîtrise de moi pour tenir et faire front, vaille que vaille. On me l'a suffisament répété, je dois être digne de ma famille, et ne laisser aucune possibilité de moquerie ou de remise en question de notre réputation. Je peux le faire. Je vais le faire. Je vais...

Oh Kyan, ça a bougé. Il y a des bulles sur l'eau, qui deviennent vite de plus en plus grosses et de plus en plus nombreuses. Ca y est, il arrive. Le chef s'éloigne, et je me retiens de faire de même. Je dois y arriver, je ne peux pas m'enfuir, ce serait vraiment la honte sur la famille. Je vois les tentacules qui surgissent du lac, non, surtout ne pas bouger, ne pas bouger. J'arrive à rester immobile mais je sens mon visage blêmir alors que le grand Poulpyan sort des profondeurs du lac juste devant moi. Heureusement je suis assez pâle de base, donc ça ne doit pas trop se voir. Enfin j'espère.

Kyan, qu'est-ce qu'il est grand... Je le savais déjà, mais le voir de loin n'est pas du tout la même chose que de l'avoir juste sous son nez. Il ne lui faudrait qu'une pichenette pour m'envoyer dans le décor en me brisant tous les os du corps. Non, ne pas trembler, je vais y arriver, je le sais ! Pour les Delfangstroem ! Pour mon frère ! Bon cela dit j'ai quand même extrêmement envie d'aller me cacher, roulé en boule dans une barque de pêcheur...

Je déglutis et lève les yeux vers le grand Poulpyan. J'ai l'impression que c'est toute ma vie qu'il a entre ses tentacules, et même toute celle de ma famille. J'ai envie de prier pour ne plus être un Trakyan, car si c'est ça, je sais ce qu'il va faire et j'en ai une trouille bleue, mais ça serait aussi mauvais pour la famille... Oh Kyan, par pitié, donne-moi la force de tenir, et fais que ce soit rapide. Je fais de mon mieux pour garder les yeux ouverts et ne pas défaillir. Je serre les poings, bien blottis le long de mon corps, et attends le plus stoïquement possible que mon destin me soit révélé. Enfin j'essaye. Gloup.

Zut, il m'a vu. Je sais c'est bête comme pensée, mais j'avais presque espéré que le grand Poulpyan m'oublie, ou ne me voit pas, et me laisse tranquille. Ou qu'il trouve une autre façon d'annoncer mon destin de Trakyan, une façon plus tranquille et moins terrifiante. Mais non. C'est encore pire que ça : il me regarde droit dans les yeux. Je fais de mon mieux pour ne pas baisser le regard mais c'est dur. Le sien est jaune flamboyant, on dirait qu'il va me griller sur place.

Je sens mon coeur battre à toute allure, c'est pas bon. J'essaye de me concentrer sur ma respiration pour que mon corps ne s'emballe pas. Je ne dois pas m'évanouir, je dois faire honneur à ma famille. Je me raccroche à cette idée pour tenir le coup et ne pas me détourner du véritable monstre en face de moi. C'est difficile, très difficile. Je sais que je devrais être fier, honoré d'être là, devant lui, ressentir le Kyan agir pour orienter ma vie, et toutes ces choses dont parlent les anciens, mais... j'ai juste envie de m'enfuir. Et le grand Poulpyan qui n'en finit pas de me regarder, c'est juste horrible.

Oh mon Kyan, il se passe quelque chose. Ca brille dans ses yeux. Grand frère, au secours, j'ai peur, je veux pas ! Kyan, Kyan, Kyan, il se met à gronder. Rien que ça déjà me faire reculer d'un pas, mais alors quand ses tentacules se mettent à bouger, faisant étinceler les pics qui les parcourent, je ne peux pas m'empêcher de m'éloigner davantage. Pire, il me suit ! Et ce n'est plus un grondement à ce stade, c'est un véritable rugissement qui promet de m'engloutir dès qu'il me touchera. Ca y est, je tremble, je ne peux pas m'en empêcher, et je continue de reculer. J'ai la gorge sèche, l'impression que mon coeur va sortir de ma poitrine et que mes poumons se sont embrasés. La tête me tourne, je ne sais pas quoi faire, m'évanouir me paraît la meilleure solution, au moins je ne sentirais plus rien.

... non. Je dois tenir. Je l'ai promis à ma famille, à mon grand frère. Je ne peux pas abandonner, pas maintenant, même si j'en ai terriblement envie.

Je regarde le grand Poulpyan, encore bien trop proche à mon goût. Il n'a même pas besoin de bouger, un simple mouvement de tentacule suffirait largement à me tuer en une seconde. J'arrête donc de reculer, je fais face, enfin j'essaye. Je n'ai pas le droit d'attirer la honte sur les Delfangstroem, alors, soit je survis en leur faisant honneur, soit je péris face au grand Poulpyan. Je déglutis, le regarde un instant, et... ne peux pas m'empêcher de fermer les yeux. Fort, très fort, très très fort. J'attends que ça frappe, ou que le monde s'écroule autour de moi. Mais je ne bougerai pas ! Même si j'ai une trouille incroyable qui fait trembler chaque parcelle de mon corps. Pitié Kyan, faites que ce soit bientôt fini.

J'ai fermé les yeux mais ça ne m'empêche pas d'avoir toujours peur. J'entends le grand Poulpyan rugir et faire trembler les planches de bois sur lesquelles je me trouve. A moins que ce ne soit que moi qui tremble ? Peut-être les deux, je ne sais pas, je ne sais plus, je veux rentrer à la maison, au secours, viens me sauver grand frère ! Je ne peux plus tenir, c'est trop pour moi, je dois m'enfuir, au moins essayer, et... Et soudain plus rien ?

J'ouvre un oeil pour voir ce qui se passe. Le chef est devant moi, me cachant un peu du grand Poulpyan, qui a l'air très calme tout à coup. C'est... c'est fini ? Ca y est ? Je suis sauvé ? Je ne vais pas mourir ? Je n'ose pas bouger, mais je suis bien forcé subitement de reprendre mon souffle. Je n'avais même pas fait attention que j'avais retenu ma respiration. Le chef remercie le grand Poulpyan et... Il s'en va ! Je suis vraiment sauvé ! Merci Kyan !

Je n'ose toutefois pas encore bouger plus que ça. Si le pire semble passé, le chef du village reste aussi effrayante, à sa façon. Je rentre un peu la tête dans les épaules quand elle me regarde à nouveau et m'annonce... Trakyan ? C'est... c'est vrai ? Oui, j'ai failli mourir devant le grand Poulpyan, il allait m'attaquer, donc... C'est vrai. C'est vrai ! Je suis un Trakyan ! Un digne Trakyan Delfangstroem ! Je n'ai pas déçu ma famille !

Cette annonce chasse tout reste de peur en moi. Je suis un Trakyan ! Le mot résonne en moi et me réchauffe le coeur. Je suis comme mon frère ! Comme nos parents ! Comme nos ancêtres ! Je suis la tradition familiale ! Je... Ah la chef a continué à parler mais je n'ai pas bien entendu. Heureusement j'arrive à rattraper son discours et à comprendre quand elle me tend un Rubis. Mon Rubis. Mon premier Yan. Oooh...

Tout doucement, respectueusement, je prends le Rubis dans le creux de mes deux mains, comme pour mieux saisir à quel point il est précieux. Je regarde le chef et hoche la tête.

- Merci. J'en prendrai le plus grand soin. Je ferai honneur à nos traditions et à ma famille.

C'est beaucoup plus facile de parler maintenant que le grand Poulpyan est parti et que je sais ce que je suis. En avoir douté me paraît tellement stupide maintenant, c'était évident. Mais je garde une petite boule dans le creux de ma gorge en repensant au terrifiant Yan légendaire. Je crois que je ne vais pas assister à une autre cérémonie avant longtemps...

Je ne sais pas si c'est bon ou pas mais, après avoir vu le grand Poulpyan de près, même le regard d'habitude effrayant du chef ne me paraît plus aussi redoutable. Ou alors je suis encore sous le choc et ne me rends plus bien compte de ce qui m'entoure.

Je reste silencieux alors que le chef me tend encore quelque chose, d'autres Rubis cette fois, 3, mais ils n'ont pas du tout le même éclat. Elle explique que ce sont les 3 Arkyans qui m'aideront pour mes premières chasses. L'idée me fait frissonner : c'est concret, c'est sûr, je suis un Trakyan désormais. Un digne Delfangstroem. J'espère que mon frère regarde et que je le rends fier ! Et nos parents aussi !

Le chef me demande si je sais ce que signifie avoir un Lié. Un Lié... Je sais ce que c'est, enfin je connais la définition. D'ailleurs mon frère en a un et il m'en a un peu parlé, m'expliquant surtout que, le plus important avec son Lié, c'est de s'en faire obéir. J'imagine que, vu qu'on doit travailler avec, ça ne doit pas être si compliqué que ça, surtout qu'il ne m'en a pas beaucoup parlé. Il veut sans doute que j'apprenne par moi-même le jour où ça m'arrivera. Je ne doute pas une seule seconde qu'il doit très bien travailler avec le sien, d'ailleurs son Lié devrait être honoré de l'avoir comme Trakyan.

Le silence s'est à nouveau installé, pesant, alors que le chef attend ma réponse. Ce n'est pas aussi oppressant qu'avec le grand Poulpyan, mais c'est quand même suffisamment fort pour que je ne me sente pas à l'aise. Pourtant je sais quoi dire, enfin je crois. Je déglutis et toussote pour éclaircir ma voix.

- C'est une personne à laquelle le Kyan me liera afin que nous puissions travailler en harmonie, conformément à sa volonté ?

Je n'ai pas pu m'empêcher de donner une pointe d'interrogation à la fin de ma phrase. Je n'aurais sûrement pas dû mais je n'ai pas réussi à l'éviter. C'est que le chef a tellement l'air d'attendre une réponse précise que j'ai peur d'avoir répondu à côté de ce qu'elle veut. Pourtant je suis certain d'être dans le vrai, mais... Elle me met quand même le doute...

Je n'ai pas trop mal répondu je pense... si ? Je me retiens de grimacer en voyant le chef froncer un sourcil. Mauvais signe... Et effectivement, elle me corrige sèchement, ce qui me fait rentrer la tête dans les épaules. Un devoir... Oui, c'est vrai, on nous l'a dit plus d'une fois. Je hoche la tête, préférant ne rien rajouter, au cas où. Elle regarde la foule, cherchant quelque chose apparemment, avant de revenir sur moi. Que je m'en souvienne... ? Je ne comprends pas à quoi elle fait référence mais je hoche à nouveau la tête.

- Oui.

Je ferai de mon mieux en tout cas. J'évite de dire quoi que ce soit d'autre, et heureusement elle se détourne avant de partir. Je lâche un grand soupir de soulagement. Plus de Poulpyan terrifiant, plus de chef tout aussi effrayant, c'est bon, je revis. Et je pense avoir fait honneur à ma famille, ou au moins ne pas l'avoir mise dans l'embarras.

Je redresse la tête en entendant alors du bruit. Ca vient de la foule. Les gens semblent se réveiller, et moi avec, je me rends enfin compte qu'il y a beaucoup de personnes. Jusqu'à présent, c'est comme si j'avais été seul au monde avec le Yan légendaire et le chef. Mais ce n'est plus le cas. Je sens mes épaules se détendre alors que les gens viennent me voir. J'esquisse même un petit sourire timide, c'est que je n'ai pas l'habitude d'être au centre de l'attention. Mais je fais bonne figure, je dois bien me tenir, après tout je suis un Delfangstroem.

Je tiens donc bon et remercie sobrement ces félicitations. Heureusement personne ne vient me toucher, ça aurait fait bizarre. On n'embrasse pas un Delfangstroem. On le salue, c'est tout. D'ailleurs maintenant que j'y pense... Je cherche des yeux ma famille. Je repère sans mal mes parents, restés en arrière, qui me félicitent d'un hochement de tête et d'un sourire discret. C'est suffisant pour me mettre du baume au coeur et je leur rends de la même façon. Pas besoin de plus, nous nous comprenons ainsi.

Par contre... Où est mon frère ? Je le cherche, espérant le trouver dans la masse. Je prie le Kyan pour qu'il soit présent, et qu'il ait vu ma cérémonie, qu'il soit fier de moi !

Alors que je regarde autour de moi, essayant de trouver le regard de mon frère, j'entends une voix familière retentir. Je me retourne pour voir Esterion apparaître comme par magie devant moi, ce qui me fait sourire. Il est bien là ! Je me redresse un peu mieux tandis qu'il me détaille. Maintenant je suis un véritable Delfangstroem, un Trakyan, je dois m'en montrer digne !

- Oui ! Merci grand-frère ! Je suis certain que c'est grâce à tout ce que tu m'as dit.

Tous ses conseils et ses encouragements n'ont pu qu'influencer le Kyan en ma faveur, c'est certain. Même si ça a été très effrayant, maintenant l'horreur est passée et je peux me réjouir. Enfin pas trop vite comme dit mon frère, j'ai encore beaucoup de travail à accomplir. Finalement je n'ai fait que gravir la première marche, désormais j'ai tout l'escalier à monter. Mais ça ne me fait pas peur, oh non ! Avec l'aide de mon frère, je suis certain que j'y arriverais et que je ferais honneur à notre nom !

- Je m'entraînerai tous les jours ! Est-ce que tu voudras bien m'apprendre ce que tu sais ? Je suis sûr que tu es déjà un grand Trakyan toi.

Je le connais, c'est le meilleur, et même s'il n'a pas commencé son destin de Trakyan depuis longtemps, il doit déjà être très puissant. Mon Yan ? C'est vrai que je n'ai pas regardé, j'étais tellement soulagé de voir le grand Poulpyan s'éloigner que je n'ai pas fait très attention au Rubis que le chef m'a donné. Je le tiens dans mes mains, l'observant palpiter dans le creux de ma paume droite.

- Je ne sais pas. Attends, je vais l'appeler pour voir.

Autour de nous, les gens se sont un peu éloignés, pour nous laisser entre Delfangstroem, mais ils restent attentifs : je suppose qu'ils sont eux aussi curieux de savoir ce que le chef m'a donné pour commencer ma carrière de Trakyan. Je regarde mon Rubis, me concentre sur ce que j'en ressens, et inspire un bon coup. Je n'ai jamais fait ça avant, alors j'essaye de laisser mon instinct me guider. Le Kyan doit être auprès de moi pour me montrer la voie.

Je sens quelque chose en moi qui grandit et me parcourt le corps pour aller jusque dans mes mains et, de là, gagner le Rubis. C'est très étrange mais pas désagréable pour autant. C'est ma propre énergie ? Je suppose que oui. Elle entre en contact avec celle du Rubis, ou celle du Yan, je ne sais pas encore faire la différence, et alors...

Un rayon discret sort du Rubis pour matérialiser une petite créature chétive sur le sol. On dirait un ver en plus gros, verdâtre, avec une sorte de crête rouge qui se termine en queue. Elle a 2 petits appendices sur le côté, je ne sais pas trop si ce sont des pattes ou de grosses moustaches, c'est étrange. Elle gigote pour tourner sur elle-même et regarder ce qui se passe, apparemment perdue. Si je me souviens bien de mes cours...

- C'est un Grenouyan. C'est puissant tu crois ?

Mon frère doit savoir lui. J'espère que oui, sinon mes débuts vont être difficiles.

Égal à lui-même, Esterion fait son modeste, mais moi je sais bien qu'il mérite ma "victoire" sur le grand Poulpyan et le Kyan. Sans lui, je suis sûr que j'aurais fui à l'arrivée du Yan légendaire. Je hoche la tête en souriant, ravi d'avoir réussi à comprendre ses conseils. Et je souris encore plus alors qu'il accepte de m'entraîner : avec un tel professeur, je vais devenir un grand Trakyan moi aussi, c'est certain ! Moins bon que lui, jamais je ne lui arriverai à la cheville bien sûr, mais juste derrière ça oui !

- Merci grand frère ! Tu es vraiment trop modeste, je suis sûr que tu as déjà de grandes compétences de Trakyan. Je vais travailler jour et nuit pour essayer de te suivre !

Je ne sais pas si j'y arriverais mais je ferai tout pour en tout cas ! A voir maintenant ce que j'ai pour m'aider dans cette lourde tâche. Ce petit Grenouyan a un petit quelque chose de mignon, et nettement moins effrayant que le grand Poulpyan, alors ça me rassure un peu. Mais après en terme de puissance... Je ne sais pas du tout ce qu'il vaut. Je regarde mon frère pour voir ce qu'il en pense, ne faisant pas du tout attention aux gens autour qui sont de toute façon plus occupés par le banquet qu'autre chose. Le bas peuple toujours affamé, c'est normal je suppose.

Esterion n'a pas l'air ravi par mon Yan. C'est pas bon alors ? Je l'écoute m'expliquer que le type du Yan n'est pas si important, tout dépend du Trakyan qui l'entraîne. Donc même si mon Grenouyan n'est pas fort pour l'instant, je dois pouvoir changer cela en m'en occupant. C'est une bonne nouvelle alors, tous les espoirs sont permis, et je pourrai faire honneur à ma famille !

- D'accord ! Alors je vais l'entraîner tous les jours jusqu'à ce qu'il devienne aussi puissant que le tien, ou presque ! On pourra les entraîner ensemble tu crois ?

Ca doit apporter un petit plus d'entraîner son Yan avec celui d'une autre personne, surtout quand il est puissant. Esterion soulève la question du nom qu'un futur grand Grenouyan devrait avoir. Je n'y avais pas du tout réfléchi, bien trop stressé par la cérémonie et le résultat attendu pour m'occuper de ce détail.

Je baisse les yeux sur mon Grenouyan qui a arrêté de gesticuler et me regarde maintenant avec de gros yeux curieux. J'avoue que j'ai un peu de mal à l'imaginer comme futur champion là tout de suite mais bon, avec un entraînement acharné et l'aide de mon frère, il y arrivera ! Alors un nom glorieux pour lui...

- Qu'est-ce que tu penses de... Tilius ?

Ca sonne combattant d'arène non ? C'est rapide à dire aussi, donc il sera facile à appeler ou à gronder s'il ne fait pas bien les choses.

Je me sens un peu déçu de ne pas pouvoir entraîner tout de suite mon Yan avec celui de mon frère, mais je comprends parfaitement ce qu'il me dit. C'est normal, je dois d'abord découvrir le mien avant de pouvoir travailler correctement avec lui. D'ailleurs...

- D'accord. Tu peux me donner quelques astuces pour que je le dresse correctement ?

Pas tout bien sûr, je dois apprendre certaines choses par moi-même, mais si je peux avoir les conseils de mon frère pour commencer c'est encore mieux. Au moins pour partir dans la bonne direction. Je n'ai pas droit à l'erreur, je dois me montrer digne de mon nom et ne pas décevoir la famille. Et ça passe d'abord par le choix du nom de mon Grenouyan. J'aime bien Tilius, je trouve que ça sonne bien, et... Et Esterion est d'accord ! Ouf ça me soulage, je craignais qu'il ne le trouve mauvais. Je souris, rassuré.

- Merci ! Je trouve que ça lui va bien, hein Tilius ?

A mes pieds, mon Grenouyan continue de me fixer avec ses énormes yeux curieux. Est-ce qu'il comprend ce que je dis au moins ? Je ne sais pas trop. J'espère qu'il deviendra vite aussi fort que celui de mon frère et qu'il pourra lui tenir un peu tête avant de perdre. Car bien évidement jamais Tilius ne pourra gagner contre Léviatan, c'est évident. Je veux juste qu'il s'en sorte honorablement avant de s'avouer vaincu.

- En fait... oui. Toutes ces émotions m'ont ouvert l'appétit. On peut aller voir s'il y a quelque chose de bon ?

Parmi les plats de base et les poissons cuits, il doit bien y avoir un met ou deux plus raffinés qui sauront être dignes des Delfangstroem.

J'écoute religieusement mon frère me donner quelques conseils précieux. Il a toute mon attention et je me concentre au mieux pour retenir tout ce qu'il dit. Apprendre à mon Yan qui commande, d'accord. Je ne laisserai pas Tilius faire n'importe quoi, il en va de son développement.

- D'accord ! J'espère que tu as compris Tilius, parce que tu es un Delfangstroem maintenant, alors je vais t'entraîner durement pour que tu deviennes le plus fort possible ! Et aucune plainte ne sera acceptée !
- Glou ?

Oh il a parlé ! Enfin il a émis un petit bruit bizarre. Je ne sais absolument pas ce que ça veut dire, mais je vais considérer qu'il a compris ce que je lui ai dit et qu'il va bien m'obéir !

- Parfaitement !

Voilà j'ai été ferme ! J'espère que mon frère l'a bien vu et que je suis convaincant. Je n'ai jamais l'impression d'être très autoritaire, même avec nos serviteurs j'ai beaucoup de mal, mais là c'est différent, il s'agit de mon Yan, et toute son éducation doit reposer sur mon attitude. Donc je dois faire un effort moi aussi pour rendre ma famille fière de moi ! Bon je sais que ça va prendre du temps, Esterion me le précise bien, mais ce n'est pas ça qui va m'arrêter : je suis un Delfangstroem, j'y arriverai ! Même s'il ne veut pas tout me dire, ce que je comprends très bien. De toute façon je dois d'abord acquérir les bases, alors même s'il me dévoilait d'autres secrets je ne crois pas que je comprendrais pour l'instant.

- Oui grand frère. Allez Tilius, on part. La prochaine fois que tu sortiras, ce sera pour t'entraîner durement alors prépare-toi !

Prenant mon Rubis, je manipule un instant la pierre entre mes doigts, ressentant son étrange énergie. Et puis, instinctivement, je concentre la mienne qui me permet d'activer le lien entre mon Yan et ce bout de caillou rouge. La seconde suivante, Tilius a disparu et c'est comme si je le sentais bouger au creux de ma main. Quelle sensation incroyable !

Je range le Rubis dans ma poche et viens voir comment a été monté le buffet. Clairement ce n'est pas du grand art, Sarah aurait mieux fait c'est certain. Enfin c'est peut-être bon quand même ? Mon frère tente du Poissyan. Pour ma part, j'essaye un petit carré de pain grillé sur lequel a été posé un peu maladroitement une tranche d'Anguillyan. Je le gobe en une bouchée et le mâchouille pour en tester la texture. C'est un peu caoutchouteux mais ça passe.

- Tu crois que Père et Mère sont contents de moi ?

Toujours discrets, ils ne vont pas venir moi maintenant, mais je sais que j'aurai leur retour à la maison. Même si je n'ai pas déçu leurs attentes et suis bien un Trakyan, je ne sais pas si ma grosse frayeur face au Poulpyan leur a déplu et s'ils vont m'en faire la remarque...

Mon frère a fait un hochement de tête approbateur ! Bon je sais bien que ce n'est pas encore très convaincant, mais c'est un début, et je prends ça pour un encouragement des plus précieux. Je suis sur la bonne voie ! Qu'en sera-t-il de nos parents ? Nous ignorons s'ils seront contents, mais satisfaits ça oui, Esterion en est certain. Je suis un Trakyan, c'est vrai, je n'ai pas déçu ma famille au moins sur ce point. Pour le reste, il faudra que je le mérite. Je hoche la tête, comprenant.

- Oui. Je ferai tout pour ça et tu verras, un jour je serai un grand Trakyan moi aussi, comme toi !

Jamais aussi bon mais le plus proche possible de lui. Je m'entraînerai jour et nuit sans relâche, quitte à pousser mon Yan jusque dans ses retranchements et plus encore. J'ai hâte de commencer ! D'ailleurs maintenant que nous avons rempli nos obligations, peut-être pouvons-nous rentrer ? J'aimerais voir Père et Mère, et même si je ne suis plus autant le centre de l'attention, j'attire toujours les regards, c'est gênant. Heureusement mon frère n'est pas non plus du genre à rester longtemps au sein d'une foule.

- D'accord.

J'abandonne sans regret le buffet pour suivre Esterion. Il n'y a pas à dire, Sarah est vraiment bien meilleure cuisinière et réalise des plats nettement meilleurs.